A quoi ressemblaient vos fascites.....




- A quoi ressemblaient vos fascistes, Mr Malaparte ?

- Ils étaient de jeunes gens, coiffés de casques d’acier, armés de fusils, de poignards, de grenades, et ils chantaient d’une voix fière en agitant des drapeaux noirs sur lesquels étaient brodées en argent des têtes de mort. Ils n’étaient pas munis de poignards et de grenades pour la défense de la philanthropie mais pour la guerre civile, c’était le rouage essentiel de la machine insurrectionnelle. Le manganello et l’huile de ricin, les camionnettes farcies de types aux chemises retroussés avec des bidons d’essence dans un coin, brinquebalant sur les chemins caillouteux et dans la poussière. Certains avaient connu les tranchées, d’autres sortaient tout juste des jupes noires des prêtres, ils avaient envie de respirer, monsieur le journaliste, ils en avaient assez des crachats, des insultes, des drapeaux rouges et des faucilles et des marteaux, la seule vue d’une redingote les faisait vomir. Ils aimaient le brouillard de Fiume et le vent de Borée, le débarcadère des marins et les fusils en quinconce dans le noir, ils étaient fiers, assez fiers pour mourir en silence et vivre en chantant, c’étaient des hommes, des bourgeois, mais dépouillés des vieux accoutrements, farcis de rêves diurnes, dans une virilité d’opéra, d’un peu loin, vous les auriez trouvés ridicules, de près, vous saviez votre jour de honte sur le point de commencer.

- Ils étaient violents donc…

- Avec des disciples de Tolstoï ou de Rousseau, on ne fait pas de révolution, tout juste une comédie. Leurs visages brûlés par le soleil avaient les traits durs des paysans, leurs barbes taillées en pointe donnaient à ces visages un brouillard picaresque, hardi et menaçant. Leurs yeux sans pitié tout délavés de cruauté, leurs mâchoires en trapèze, leurs mains faîtes pour cogner et cogner dur jusqu’à défoncer crânes et cages thoraciques s’accompagnaient de regards méprisants et insistants pour tout ce qui s’apparentait à une allure d’agent de police, d’employé ou de député libéral. Ce ne sont pas les gens aimables qui font les révolutions. Ce n’est pas par la douceur et la ruse que se mène l’essentiel de la bataille politique mais par la violence. La plus implacable, la plus inexorable, la plus méthodique des violences.

- Politiquement, ils venaient d’où vos chemises noires ?

- Quand ce n’étaient pas des anciens combattants sortis des tranchées la baïonnette au cœur, les chemises noires sortaient par phalanges entières de l’extrême-gauche ou des grappes étudiantes aux élans généreux. Ces gens là avait un chef. Il s’est trouvé qu’il n’était pas végétarien, christian scientist ou social-démocrate. Ces gens là avaient un Dieu, il ressemblait, je dois dire assez à celui de la guerre.

- Comment avez-vous pris le pouvoir ?

- Un des problèmes que le fascisme eut à résoudre fut l’écrasement absolu des syndicats de travailleurs, seule force révolutionnaire capable de défendre les arceaux de l’État bourgeois. Les travailleurs défendaient alors contre les chemises noires leur liberté de classe.

- Le communisme vous voulez dire ?

- Ce qu’était le communisme monsieur, une sorte de bovarysme insurrectionnel. Les représailles étaient un des éléments les plus importants de la tactique des chemises noires. Elles étaient le fait des troupes d’assaut exercées à la technique de l’infiltration, des coups de main, de l’action d’éclat, armés de poignards, grenades et engins incendiaires. Les Bourses du travail, les cercles ouvriers, les maisons des dirigeants prolétariens étaient attaquées, dévastées, incendiées, les familles humiliées. Au final, la peur des représailles ébranla l’esprit combatif des chemises rouges et des syndicalistes. Alors tous fuyaient en désordre et la chasse à l’homme pouvait se dérouler. Ce n’était pas toujours bienséant, parfois cela donnait des aigreurs, on voyait des enfants pleurer accrochés aux haillons de leurs mères dont on venait de déchirer le corsage dans un grand éclat de rires, le soleil écrasant, la fange campagnarde, l’atmosphère itinérante de caserne, une humeur de soudards, l’impunité absolue de la force, toute cette exaltation révolutionnaire tournait en une floraison de bravades et de culbutes dans les champs où les femmes perdues, les gestes affolés, couraient loin de leurs hommes laissés en tas et pantelants, leurs jambes nues dans l’herbe, culottes déchirées et lèvres violacées de douleur répondaient à la gueule amochée pour longtemps de leurs maris défaits et proscrits, la parole antée dans la gorge comme un poignard, la signature des arditis, mais des arditis noirs, ceux des compagnons du diable.

- Ce n’était pas très fair-play

- Décidément, l’anglais est une langue contre-révolutionnaire. On dirait que sa syntaxe même est libérale. Je vais vous dire monsieur le démocrate, pour venir à bout des grèves et des insurrections, il fallait concentrer les forces sur un point, l’occuper et nettoyer la position.

- Et votre gouvernement ?

- Il fermait les yeux, il regardait ailleurs et puis vous savez ce que c’est, pour tout ministère, les nouvelles exactes sont toujours prématurées. De plus, la liberté de la presse n’a jamais empêché les journaux de publier des informations fausses, n’est-ce pas monsieur le journaliste.